
S'installer à l'étranger pour les études ou pour le travail ne rime pas toujours avec aventure et enthousiasme. Pour beaucoup, ce départ s'accompagne de confusion, d'anxiété, d'un sentiment d'abandon… et d'une forme de culpabilité difficile à nommer. Certains expatriés ont tendance à culpabiliser d'avoir laissé derrière eux leurs parents, surtout lorsque ces derniers vieillissent ou tombent malades. D'autres regrettent de manquer des moments importants comme les retrouvailles d'anciens élèves du lycée, la naissance d'un neveu ou encore les anniversaires des proches. Alors, comment faire la paix avec cette absence ? Comment transformer cette distance en un lien différent mais enrichissant ?
Voir ses parents vieillir à distance : un déclencheur majeur de culpabilité
Chez les expatriés de plus de 25 ou 30 ans, le vieillissement des parents devient souvent un point de tension émotionnelle. Beaucoup sont partis quand ils avaient entre 18 et 25 ans pour des études, à un moment où leurs parents étaient jeunes, encore dynamiques, en bonne santé et souvent actifs professionnellement.
Mais au fil des années, les renouvellements de visa se succèdent et le temps fait son œuvre. Lors des appels vidéo, on remarque les cheveux devenus gris, les visages plus marqués de nos proches. Les visites ponctuelles révèlent une réalité nouvelle : traitements contre le diabète ou les problèmes cardiaques, étagères remplies de médicaments, baisse d'énergie, fatigue chronique.
Le constat peut s'avérer brutal. Cela nous mène à penser que pendant que l'on bâtissait une nouvelle vie à l'étranger, le corps de nos proches vieillissait. Certains sont alors amenés à se poser une question pénible : « Ai-je abandonné les personnes qui m'ont donné naissance et m'ont élevé ? »
Cette culpabilité peut être encore plus forte chez les enfants uniques ou les personnes issues de cultures collectivistes, où l'on valorise la loyauté familiale, le respect des aînés et l'interdépendance. Dans de nombreuses sociétés asiatiques, par exemple, s'occuper physiquement de ses parents âgés est perçu comme un devoir filial fondamental. L'entourage familial peut parfois en rajouter une couche : on culpabilise l'expatrié de « priver » les grands-parents de leurs petits-enfants, ou de ne pas être là au quotidien. Les remarques passives-agressives comme « Tu n'as pas changé, toi, toujours trop occupé à l'étranger » peuvent laisser des traces.
Accepter que le temps passe… et nous dépasse
La culpabilité vient souvent de l'illusion du contrôle absolu. On s'imagine que, si l'on avait fait différemment, les choses ne seraient pas arrivées ainsi. Or, le vieillissement, la maladie et même la mort font partie du cycle naturel de la vie. Reconnaître que ce genre d'événements sont hors de notre contrôle personnel peut soulager le sentiment de culpabilité lié à l'éloignement des proches.
Les personnes qui vivent à l'étranger font l'expérience d'une forme de deuil anticipé (anticipatory grief), c'est-à -dire le processus de deuil d'un être cher avant même son décès. Ce processus commence souvent à l'annonce d'une maladie grave comme un cancer en phase terminale. Et à distance, cette angoisse s'intensifie davantage. Certains redoutent l'idée de devoir dire adieu par appel vidéo, ou d'assister à l'enterrement de leur parent en direct depuis un terminal d'aéroport. Ces scénarios, bien qu'insoutenables, sont désormais réalistes à l'ère numérique. C'est d'ailleurs l'une des raisons pour laquelle de nombreux expatriés arrivent à développer une forme de carapace mentale pour « se préparer au pire », par peur de ne pas pouvoir rentrer à temps.
Une étude de la professeure Olena Nesteruk, spécialisée en sciences familiales à la Montclair State University, intitulée "Immigrants Coping with Transnational Deaths and Bereavement: The Influence of Migratory Loss and Anticipatory Grief" explore cette dynamique. Cette étude démontre en effet que la distance géographique et les obligations professionnelles jouent parfois le rôle de tampons émotionnels contre le chagrin prolongé.
Cette même étude suggère qu'il est important de savoir poser des limites aux proches ou amis qui blâment ou culpabilisent l'expatrié. Tant que vous arrivez à entretenir une relation de confiance avec vos parents, l'avis des autres ne devrait pas avoir d'impact émotionnel.
Rester proche malgré la distance : routines, discussions, petites attentions
Même si la vie à l'étranger vous semble intense, il est essentiel de maintenir un lien actif et régulier avec votre famille. Essayez d'instaurer des rendez-vous fixes dès le départ, par exemple, un appel vidéo chaque samedi matin avec votre mère, un échange visio bimensuel avec un ami d'enfance. L'objectif n'est pas forcément de parler d'événements majeurs, mais de maintenir un fil quotidien, aussi banal soit-il.
Ce besoin de contact est magnifiquement illustré dans News from Home, un film de la réalisatrice belge Chantal Akerman (années 1970). On y entend les lettres que sa mère lui écrivait pendant qu'elle vivait à New York. Au début, Akerman répondait régulièrement. Mais avec le temps, ses réponses se faisaient plus rares. Sa mère lui écrivait : « Ma chérie. J'ai reçu ta lettre peu après avoir écrit la mienne. Je suis contente que tout aille bien. Mais écris un peu plus souvent… Tu me manques énormément. »
Essayez également de rester actif dans les groupes de discussion familiaux. Faites de votre mieux pour répondre dans un délai raisonnable (1 à 2 jours). Les échanges de recettes, de photos de repas, de mèmes, de vidéos TikTok ou de selfies avec vos animaux de compagnie peuvent aider à créer un lien sincère et durable.
Et bien sûr, rien ne vaut une visite physique. Si vous en avez les moyens, rendez visite à votre famille au moins une fois par an. Ce petit effort peut prévenir les rancunes à long terme de part et d'autre.
Oui, cela signifie peut-être renoncer à un été glamour à Bali ou à Santorin, mais les souvenirs familiaux construits ont une valeur inestimable. Et au passage, les trajets réguliers vous permettront d'accumuler des points de fidélité auprès des compagnies aériennes, et d'obtenir des tarifs réduits pour vos futurs billets.
Si vous avez de la place chez vous, pourquoi ne pas inviter vos parents à venir vous rendre visite ? Avec un visa touristique, ils peuvent généralement rester jusqu'à 6 mois. Pour les retraités, ce genre de séjour peut être une vraie bouffée d'air. Et s'ils sont ravis de garder les enfants, cela peut aussi vous soulager au quotidien.
N'oubliez pas que votre famille est fière de vous
Vos parents ressentent peut-être de la tristesse, mais aussi une immense fierté. Même s'ils ne le disent pas toujours, ils parlent sûrement avec émotion de leur fils ou fille installé·e à l'étranger, qui a trouvé un bon emploi, un bon salaire, ou qui poursuit des études prestigieuses.
Votre parcours n'est pas seulement une aventure personnelle : il est aussi un modèle d'inspiration et d'admiration pour certains. Gardez cela en tête chaque fois que le doute vous envahit.
De plus, vivre à l'étranger vous permet peut-être de soutenir financièrement votre famille. Selon The Migration Observatory (de l'Université d'Oxford), les expatriés vivant au Royaume-Uni envoient chaque année près de 9,5 milliards de livres sterling (soit environ 12 milliards de dollars US) à leur pays d'origine.
Les communautés qui envoient le plus de fonds sont celles originaires d'Inde, du Pakistan, du Nigeria, de France, d'Allemagne et de Chine. Cet argent permet parfois de financer les soins médicaux des parents, les études du petit frère, ou permet à un proche de vivre une retraite plus confortable.
Votre culpabilité peut ainsi être contrebalancée par une réalité concrète : votre choix de vivre à l'étranger aide réellement ceux que vous aimez.
Envisager le regroupement familial
Si la séparation devient trop difficile à supporter, pensez à vous renseigner sur les options de visas de regroupement familial. Des pays comme le Canada, l'Espagne, le Portugal ou la République tchèque proposent des dispositifs sur mesure pour accueillir des parents âgés (généralement à partir de 65 ans).
Pour y être éligible, il faut souvent prouver que vos parents sont financièrement dépendants de vous, que ces derniers n'ont pas d'autre proche pour les soutenir dans leur pays d'origine et que vous avez les moyens financiers de les prendre en charge. Une assurance santé spécifique est généralement requise.
Sources :