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Double culture : s'intégrer à l'étranger sans renier ses origines

groupe d'amis
javi_indy / Envato Elements
Écrit parLaura Barangerle 17 Octobre 2025

Il y a des choses qu'on ne dit pas tout de suite quand on s'expatrie. On parle du dépaysement, de l'aventure, des nouvelles saveurs et des paysages. Mais on parle rarement du moment où, des mois ou des années plus tard, on se rend compte qu'on n'est pas tout à fait d'ici… ni complètement de là-bas. C'est ça, la vraie vie de l'expatrié à long terme. On mélange allègrement les expressions, les habitudes, les goûts culinaires et les références. On commence une phrase en français et on la termine en créole, en espagnol ou en anglais, sans s'en rendre compte. On se découvre une double culture.

Intégrer sans s'effacer

Ceux qui vivent longtemps à l'étranger finissent par connaître ce paradoxe : vouloir être pleinement ici, sans effacer ses origines et son passé. On apprend la langue. Les codes. On respecte les traditions. On joue le jeu. Et pourtant, il y a toujours un petit décalage. Et une capacité de comparaison qui peut être perçue comme du jugement, comme nous l'explique Nadia qui vit à Lisbonne : « Je suis Suisse. Je vis à Lisbonne depuis 8 ans. Je parle portugais, je travaille ici, mes enfants sont scolarisés ici. Mais quand je dis que je trouve que certaines choses sont mieux organisées en Suisse, j'ai l'impression d'être ingrate. Alors que ce n'est pas ça ! C'est juste que j'ai deux visions du monde en moi. »

Et c'est là toute la complexité. On ne veut pas renier ses racines. On ne veut pas non plus s'enfermer dans une identité figée. Mais le monde autour ne suit pas toujours. Il aime les cases. Les définitions claires. Les drapeaux uniques. Les identités simples à comprendre. Et par définition, la double culture échappe à cette logique. « Je veux m'intégrer pleinement ici, même si je ne serai jamais vue comme une locale ».

Morgane, 34 ans, vit à Montréal depuis 7 ans. Elle est arrivée avec un PVT. Puis un job, puis l'amour. Et aujourd'hui, un enfant qui dit « maman » avec un petit accent québécois. « J'adore cette ville. Je me sens bien ici. Mais parfois, il y a comme une vitre entre moi et les autres. Je ne suis pas d'ici. Je ne le serai jamais. » Elle raconte un moment banal, au supermarché : « Je suis à la caisse, et je dis “bonjour”. La caissière me répond : “Ah, t'es française ?” Comme si j'étais une touriste. Pourtant je vis ici depuis longtemps, je paie mes impôts ici, je râle sur l'hiver ici… »

C'est ce genre de micro-décalages qui tissent le quotidien de la double culture. L'impression d'être chez soi sans l'être tout à fait. L'envie de s'intégrer à fond, tout en gardant sa petite part d'originalité. Mais aussi une forme de lassitude, à toujours devoir expliquer où on est né, pourquoi, quand et comment on est arrivé ici. « Je ne veux pas renier mes racines… mais parfois, j'ai l'impression qu'elles m'encombrent ».

David, 41 ans, vit au Japon depuis 11 ans. Marié à une Japonaise, père de deux enfants trilingues, il vit dans une banlieue résidentielle de Tokyo et travaille dans la tech. Il explique qu'au bout de quelques années, ce rôle devient lourd à porter. « J'ai peur de devenir une caricature. J'ai envie d'éduquer mes enfants à ma culture, de leur faire découvrir Renaud, le fromage qui pue, et l'ironie à la française. Mais quand je le fais, j'ai l'impression d'imposer quelque chose qui ne leur appartient pas. » Alors il navigue en permanence entre ses deux cultures. Sushis le mardi et crêpes maison le dimanche matin. Conversations en japonais à l'école et appels en visio avec sa mère en Dordogne à la maison.

Quand deux mondes cohabitent

Un jour, on réalise que notre cerveau pense en deux langues. Ou trois. Qu'on jure en anglais mais qu'on rêve en français. Qu'on écrit encore sa liste de courses dans la langue de Molière, mais qu'on lit les ingrédients en espagnol. Et que c'est devenu normal.

La double culture, c'est ça. Un joyeux bordel interne où coexistent plusieurs versions de soi-même. Il faut apprendre à cohabiter avec les cultures. À les faire dialoguer, s'affronter et s'enrichir. Ce n'est pas toujours fluide. Il y a des jours où l'on doute. Où on se sent paumé. Où on se demande pourquoi on a voulu partir, ou pourquoi on n'arrive pas à revenir.

Mais il y a aussi des jours où tout s'aligne. Où on parle trois langues en une heure sans y penser. Où on devient le traducteur officiel de notre bande d'amis. Où on trouve un mot dans la langue locale qui n'existe pas dans notre langue maternelle, mais qui dit parfaitement ce qu'on ressent. Ces jours-là, on se dit qu'on a de la chance. Que cette vie-là, pleine de frottements culturels, nous a appris à être plus souples et plus ouverts. Et qu'on ne reviendrait en arrière pour rien au monde.

« Je suis venu pour six mois. Je repars quand ? Je ne sais pas. » Sango, 26 ans, originaire de Douala au Cameroun, est arrivé à l'île Maurice pour un stage. Un premier pas hors du continent, une première vraie immersion dans un pays qu'il ne connaissait que de nom. « Franchement, au début je me suis senti paumé. Je suis arrivé à l'aéroport avec ma valise, mon stress et zéro repère. Les premières semaines, j'observais tout. Les façons de parler, les gestes, les habitudes. J'avais l'impression d'être un infiltré dans un monde parallèle. »

Les premiers mois ne sont pas les plus simples. « Socialement, ce n'était pas évident au début. Je sentais que je n'étais pas dans une case facile. Je n'étais ni ç, ni Mauricien, ni touriste, ni expat classique. J'étais juste un mec venu faire son stage avec son accent camerounais . » Mais petit à petit, quelque chose se débloque. « J'ai commencé à sortir un peu et vraiment discuter avec les gens. Les Mauriciens, les étrangers installés là depuis longtemps, les commerçants du coin. J'ai trouvé des points communs inattendus. Et j'ai surtout arrêté de vouloir m'intégrer à tout prix. J'ai été moi-même. »

Il finit son stage, mais ne repart pas. On lui propose un poste. Il accepte. Trois ans plus tard, il est toujours là. « Ce que j'aime ici, c'est la diversité de cultures, d'origines et de langues. On fête Noël, le Nouvel An chinois, l'Aïd et Ganesh Chaturthi. Je me sens enrichi chaque jour. Et maintenant, heureusement, je parle créole couramment. »

Et quand on lui demande s'il compte rentrer un jour au Cameroun, il hésite : « Je ne sais pas. Je pense que je reviendrai, oui. Mais peut-être pas pour “revenir”. Peut-être pour apporter autre chose. Aujourd'hui, j'ai trouvé une part de moi ici. Je suis devenu une version de moi que je n'aurais jamais connue si je n'étais pas parti. »

Créer sa propre culture

Être plusieurs en soi, c'est aussi avoir plusieurs loyautés. Plusieurs paysages intérieurs. Plusieurs mémoires. On apprend à vivre avec des contradictions. Et c'est ce que font tous ceux qui ont fait de cette double culture une richesse et non un tiraillement. Au bout d'un moment, on arrête de chercher à «appartenir». On comprend que ce mot, appartenir, est peut-être le problème. Et on commence à composer. À inventer.

On ne devient pas un ç au Sénégal, un Suisse en Thaïlande, une Camerounaise au Danemark. On devient un mélange. Un trait d'union. On apprend à choisir ce qu'on garde. Ce qu'on laisse. Ce qu'on transforme. Claire, qui s'est installée à Mexico, nous en parle : « Je suis partie vivre au Mexique. Je me suis mariée à un Mexicain. Nous avons deux enfants. Ils parlent les deux langues et mangent des croissants le matin et des tacos le soir. Je ne cherche plus à leur transmettre "ma" culture. Je leur montre juste ce que j'aime, et je regarde ce qu'ils en font. »

C'est peut-être ça, le secret : arrêter de chercher à être quelqu'un qu'on n'est plus. Et construire, petit à petit, une nouvelle identité. Qui n'a pas besoin d'être validée. Ni d'un drapeau. Ni d'un tampon. Car vivre entre deux cultures, c'est savoir écouter plusieurs vérités. C'est comprendre que rien n'est universel. Que les gestes, les mots, les valeurs sont toujours liés à un contexte. Et que c'est justement cette conscience-là qui rend plus humain.

On apprend à ne pas juger trop vite. À se taire parfois, pour observer. À s'étonner. À rire de soi. À voir les absurdités d'un système sans forcément en idolâtrer un autre. Peut-être qu'on ne trouve jamais de réponse définitive. Et peut-être que c'est très bien comme ça ! Parce que ce flou, ce mouvement entre les cultures, c'est aussi ce qui rend les choses plus belles.

Alors si vous vous sentez parfois étranger partout, dites-vous que vous êtes surtout multiple. Et libre. Et si on vous demande d'où vous venez, peut-être qu'un jour, vous répondrez simplement : «De là où je me sens bien.»


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A propos de

Globe-trotteuse dans l’âme, j'aime donner vie aux idées, aux histoires et aux rêves les plus fous. Aujourd’hui installée à l’île Maurice, je prête ma plume à et à d’autres projets inspirants.

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