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Moins de jeunes, plus de seniors : vers une révolution de l'emploi international ?

seniors au travail
BGStock72 / Envato Elements
Écrit parAsaël Häzaqle 15 Septembre 2025

Une grande partie du monde est frappée par les mêmes maux. La population vieillit. Les naissances se font rares. Les législations repoussent l'âge de départ à la retraite. Les travailleurs seniors restent plus longtemps sur le marché du travail, faute de renouvellement des actifs. Les pénuries de main-d'œuvre se comptent en points de croissance. Quelles conséquences ces bouleversements ont-ils sur le marché du travail international ? Quelles solutions proposent les États ?

Vivre plus longtemps, travailler plus longtemps ?

Jeudi 22 mai. Le Parlement danois repousse l'âge de départ à la retraite de 67 à 70 ans. Plus précisément, il reculera à 68 ans d'ici 5 ans, pour arriver à 70 ans en 2040. Si les médias internationaux parlent d'une petite « révolution », l'exécutif danois précise que ce relèvement fait partie intégrante de sa politique. Au Danemark, l'âge de départ à la retraite est indexé sur l'espérance de vie. Les Danois ont donc depuis longtemps intégré le concept du « vivre plus longtemps, travailler plus longtemps ». En France, la réforme des retraites s'appuyait sur ce concept, mais avec des effets plus contrastés. Votée dans la douleur en 2023, elle fait passer l'âge légal de départ à la retraite de 62 à 64 ans, selon l'année de naissance du travailleur. Mais les difficultés du gouvernement actuel et l'opposition d'une partie de la population ravivent les tensions. Certains courants et partis politiques proposent toujours la suspension de la réforme.

Le Danemark n'est pas le seul pays à intégrer l'espérance de vie dans ses calculs. L'Italie, les Pays-Bas et le Portugal le font également. En 2024, l'exécutif italien propose de permettre aux fonctionnaires qui le souhaitent de travailler jusqu'à 70 ans. Malgré l'opposition des syndicats, le gouvernement maintient sa position. Il va même plus loin, en organisant peu à peu un cadre qui fixerait le départ légal à 70 ans, que l'on soit fonctionnaire ou non. Aux Pays-Bas, l'âge de la retraite sera repoussé à 68 ans en 2040 (contre 67 ans aujourd'hui). Au Portugal, l'âge de départ est progressivement décalé, en fonction de l'espérance de vie. Actuellement fixé à 66 ans et 7 mois, il passera à 66 ans et 9 mois en 2026.

Marché du travail international : travailler jusqu'à 70 ans

En Allemagne aussi, l'âge légal de départ à la retraite recule progressivement à 67 ans (au lieu de 65 ans), pour les travailleurs nés entre 1947 et 1964. Même constat aux États-Unis, où il faut travailler de plus en plus longtemps pour espérer toucher une retraite à taux plein. Les travailleurs nés en 1959 doivent actuellement travailler 66 ans et 10 mois. En 2026, ceux nés en 1960 et plus tard devront travailler 67 ans.

Au Japon, il n'est pas rare de travailler jusqu'à 70 ans, voire au-delà. L'âge de départ à la retraite reste pourtant fixé à 65 ans (pour une retraite à taux plein), mais rares sont ceux qui partent aussi tôt. Selon le ministère japonais du Travail, les plus de 65 ans représentent 13 % des actifs. Plus de 50 % des 65-69 ans continuent de travailler. Les seniors de 70-74 ans sont encore plus de 30 % à occuper un emploi. 10 % des plus de 75 ans sont toujours en activité. Dans les faits, les entreprises sont encouragées à garder leurs salariés jusqu'à 70 ans : Meiji Yasuda Life Insurance, l'une des plus importantes compagnies d'assurance, Toyota, Mazda… en 2021, le vendeur de matériel électronique Nojima allait plus loin, en supprimant la limite d'âge de départ à la retraite. Depuis fin 2023, les conducteurs de taxi peuvent travailler jusqu'à 80 ans.

Recul de l'âge de départ à la retraite : quelles conséquences sur l'emploi ?

Le recul de l'âge légal de départ à la retraite a-t-il des conséquences sur l'emploi des jeunes ? Sur le chômage ? Des passerelles sont-elles créées pour favoriser la transmission des compétences entre anciens salariés et jeunes recrues ? Zoom sur la France, l'Allemagne, le Japon et les États-Unis.

Le constat

Le Japon enregistre le plus fort taux d'emploi (25-64 ans) : 79,8 %. L'Allemagne arrive en 2e position (77,7 %), devant les États-Unis (71,7 %) et la France (68,9 %) ( de l'OCDE au 4e trimestre 2024, publiés le 17 avril 2025). Mais ces taux élevés laissent apparaître de profondes disparités. D'après un de l'OCDE publié le 3 juillet 2025, le nombre d'actifs au Japon a chuté de 16 % entre 1995 (87,3 millions) et 2024 (73,7 millions). Parmi ces actifs, de plus en plus de seniors. Le Japon est le pays du G7 où les personnes âgées restent le plus longtemps en activité. Ils sont environ 80 % à travailler (55-64 ans). Ils sont moins nombreux en Allemagne (76,4 %), aux États-Unis (65,8 %) et en France (61,7 %). Au Japon, près de 30 % des 65 ans et plus continuent de travailler. C'est très loin devant les États-Unis (19,2 %), l'Allemagne (9,1 %) et la France (4,3 %).

En 2023, estimait le taux d'activité des jeunes japonais (15-24 ans) à 49,9 %. C'est un peu moins que l'Allemagne et les États-Unis (respectivement 54 et 56,3 %), mais mieux que la France (42,5 %). Les jeunes restent néanmoins les populations les plus exposées au risque de précarité, surtout s'ils sont peu ou non formés. Les mêmes risquent de planer sur les travailleurs plus âgés.

Emploi des jeunes et des seniors : des préjugés toujours tenaces

Selon l', le taux de chômage des jeunes et des seniors français est en baisse. Mais les seniors restent plus longtemps au chômage ; les jeunes peu qualifiés ou non qualifiés sont davantage touchés par le chômage. En France, le taux d'activité des jeunes et des seniors reste inférieur à celui des autres pays européens, les pays nordiques en tête. Alors que le pays se serre la ceinture, les entreprises pensent « rentabilité ». Pour nombre d'entre elles, les jeunes travailleurs n'auraient pas l'expérience requise pour être productifs. Chez les seniors, le problème est autre : l'expérience est bien là, mais la productivité serait déclinante. Dans un cas comme dans l'autre, les entreprises arrivent à la même conclusion : les jeunes et les seniors coûtent trop cher.

Le voisin allemand établit un constat tout autre. Car en Allemagne, contrairement à la France, l'apprentissage des jeunes fait, depuis longtemps, partie du modèle social. Pour les experts, le modèle allemand permet à davantage de jeunes d'occuper un emploi et d'acquérir des compétences. Le modèle met également en lumière les filières techniques et manuelles, souvent délaissées par les jeunes, au profit des emplois de bureau. C'est l'un des constats établis en France. Constat que l'exécutif tente de changer, en prenant en exemple le voisin allemand. Selon , le nombre d'apprentis en France a plus que doublé entre 2017 et 2023.

Au Japon, le problème est autre. D'un côté, les jeunes s'opposent au modèle de travail de leurs parents. De l'autre, la baisse de la natalité contraint les personnes âgées à travailler de plus en plus tard. Les pensions de retraite ne permettent pas de vivre décemment. En 2019, le gouvernement en place exhortait les actifs à épargner au moins 170 000 euros avant leurs 65 ans. Une somme impossible à épargner pour nombre d'actifs. Une enquête de 2020 réalisée par SMBC Consumer Finance montrait qu'au Japon, plus de 60 % des quarantenaires avaient moins de 10 000 euros d'économies.

Marché du travail international : quelle place pour les seniors ?

Pénurie de main-d'oeuvre mondiale, pénurie de main-d'oeuvre chronique, baisse de la natalité, défis de la formation… les États jonglent entre les politiques pour réconcilier offre et demande de travail. Comment assurer, non pas la concurrence, mais la coopération des jeunes travailleurs et des salariés seniors, pour une meilleure transmission des compétences et une meilleure productivité ?

Favoriser une transmission des compétences dans les deux sens

Les entreprises ont tendance à mettre en avant la transmission verticale descendante : celle qui va du senior expérimenté au junior fraichement embauché. Mais d'autres entreprises mettent en avant une transmission plus circulaire, qui, selon elles, est plus souple à mettre en œuvre. Car chacun peut avoir des compétences à transmettre. Les jeunes baignant dans les nouvelles technologies peuvent former leurs aînés, qui, à leur tour, leur font partager leur expérience. Cette transmission circulaire faciliterait le travail intergénérationnel. Les experts plébiscitant la méthode n'y voient que des avantages et parlent même d'une hausse de la productivité. Car d'un côté, les seniors ne sont pas forcément des travailleurs sur le départ, puisqu'ils bénéficient d'une formation interne grâce aux jeunes salariés. Ils acquièrent de nouveaux savoirs et montent en compétence. De l'autre, les jeunes salariés sont plus rapidement opérationnels, car ils bénéficient de la formation de leurs pairs.

Comment les seniors sont-ils intégrés dans les entreprises ?

Le « Perspectives de l'emploi de l'OCDE 2025 » publié le 9 juillet 2025 partage une enquête réalisée sur les conditions de travail aux États-Unis selon laquelle un certain nombre de travailleurs seniors seraient exposés à des risques physiques : inhalation de fumées, de gaz, manipulation d'objets tranchants, lourds, de produits chimiques, mouvements physiques importants/répétitifs, températures extrêmes, bruits, vibrations, etc. Ces risques sont directement liés aux métiers exercés. Parmi eux : les métiers en tension. D'après l'OCDE, les métiers de la santé font courir un risque physique supérieur à 60 % pour les 55-64 ans.

Comment les entreprises de la santé, de la construction ou de l'ingénierie intègrent-elles les seniors ? Le groupe français NGE (construction) et le groupe franco-québécois Keolis (transport public) ont justement fait de l'emploi des seniors l'un des piliers de leur stratégie pour lutter contre les pénuries de main-d'œuvre. Même logique pour la SNCF, EDF, Enedis (distributeur d'électricité) ou Elior, entreprise de restauration collective. Leur mot d'ordre : l'emploi des seniors assure une meilleure transmission des compétences et une continuité du travail.

Les entreprises de la Tech misent aussi sur l'expertise des seniors. Intel, IBM, Salesforce, Apple, Microsoft, Cisco, HP ou encore Google misent sur le recrutement des seniors. Ils rappellent tout d'abord qu'être senior ne va pas forcément de pair avec un manque de compétences dans le domaine du numérique et des hautes technologies. Au contraire : nombre de grands inventeurs aujourd'hui âgés continuent de révolutionner le monde de la Tech. Leur expertise leur donne justement un coup d'avance et leur permet d'analyser les nouveautés sous un angle plus large que les nouvelles recrues.

Des discriminations toujours de mises

Les initiatives de quelques entreprises ne cachent cependant pas une discrimination qui perdure. Les travailleurs âgés sont les premiers à le constater, alors même que les politiques disent favoriser l'emploi des seniors. Les préjugés sont encore plus élevés pour les personnes âgées en recherche d'emploi, surtout si elles ont passé une ou plusieurs longues périodes de chômage. Car pour les employeurs, les périodes sans emploi sont encore confondues avec des périodes d'inactivité totale (alors qu'il peut y avoir une activité, non rémunérée, par exemple).

Autre difficulté : certains employeurs estiment à tort que les travailleurs âgés seraient plus réticents au changement, « moins adaptables » et moins enclins à apprendre de nouvelles techniques ou méthodes de travail. Certaines entreprises se séparent de travailleurs compétents uniquement en raison de leur âge. Or, les difficultés des travailleurs seniors au chômage sont plus importantes que celles des plus jeunes. De plus, selon l'OCDE, un cinquantenaire en activité aura plus de chances de conserver son emploi dans la soixantaine. À l'inverse, un demandeur d'emploi cinquantenaire a plus de chances de rester demandeur d'emploi à 60 ans. Le recul de l'âge de la retraite constitue donc un véritable risque de paupérisation pour des millions de seniors privés d'emploi. La situation des travailleurs âgés en situation précaire (emploi partiel, mal rémunéré, conditions de travail difficiles…) est à peine meilleure.

Vieillissement de la population : comment redéfinir le marché du travail international ?

Selon les projections des Nations Unies, les grandes économies risquent de perdre 20 à 50 % de leur population d'ici 2100. Le rapport du , cabinet de conseil étudiant les tendances économiques mondiales, rapporte que le taux de fécondité a chuté sur tous les continents : entre 1,8 et 1,6 enfant par femme en Amérique du Nord, du Sud et en Océanie, 1,4  en Europe, 1 en Asie de l'Est. Seul le continent africain est épargné, avec un taux compris entre 2,4 et 4,4 enfants par femme (chiffres 2023). Dès 2050, les seniors représenteront un quart des consommateurs du monde. Nombre d'économistes s'accordent en faveur du recul de l'âge de la retraite. Car si les populations vivent plus longtemps, elles devraient travailler plus longtemps.

Ils sont néanmoins tout aussi nombreux à alerter sur le risque des raccourcis. Loin d'être linéaire et reproductible, chaque parcours de vie est unique. Le marché du travail international est inégalitaire. Impossible de repousser l'âge légal de départ à la retraite sans prendre en compte, par exemple, les spécificités de chaque secteur professionnel. Certaines professions physiques ne peuvent être exercées par des seniors pour des raisons évidentes.

Un marché international du travail qui s'adapte aux profils des travailleurs

Il s'avère donc indispensable de redéfinir le marché du travail international en prenant en compte les défis actuels et à venir. En plus du modèle de la « transmission circulaire des compétences », plusieurs acteurs préconisent de mieux prendre en compte les attentes des travailleurs en fonction de leur âge.Dans son rapport de 2025, l'OCDE atteste que plusieurs éléments jouent sur la motivation et donc la compétitivité des seniors. La pénibilité du travail ne doit pas être le seul facteur étudié. Des études montrent que les travailleurs seniors apprécient la flexibilité et l'autonomie. Ils veulent gérer leur emploi du temps, travailler de manière indépendante, être reconnus pour la compétence de leur travail. De fait, certains emplois, notamment dans les technologies de l'information et de la communication (TIC), la gestion, l'administration, ou encore les sciences de l'ingénierie, conviendraient mieux aux profils seniors. A contrario, les emplois « à la chaîne » et les métiers peu flexibles seraient difficilement adaptables. D'après les économistes, les entreprises doivent accélérer l'adaptation des professions aux profils âgés. Ce serait l'une des conditions pour rendre plus efficaces les politiques favorisant l'accès à l'emploi aux seniors.

Sources :

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A propos de

Rédactrice web spécialisée en actualité politique et socio-économique, Asaël Häzaq observe et décrypte les tendances de la conjoncture internationale. Forte de son expérience d’expatriée au Japon, elle propose conseils et analyses sur la vie d’expatrié : choix du visa, études, recherche d’emploi, vie de travail, apprentissage de la langue, découverte du pays. Titulaire d’un Master II en Droit - Sciences politiques, elle a également expérimenté la vie de nomade numérique.

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