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« Tamam ! » : comment vivre à l'île Maurice vous transforme

foule de personnes au Caudan
wurliburli / Pixabay
Écrit parLaura Barangerle 13 Juin 2025

Vivre à l'île Maurice, ce n'est pas juste changer de fuseau horaire : c'est changer de rythme, de goût, de langue et de playlist. Pour les expatriés venus s'installer sur l'île métissée, la mixité culturelle fait partie du décor. Mais c'est aussi une immersion, une transformation, un art de vivre. Nous avons tendu le micro (et la fourchette) à plusieurs d'entre eux. Ce qu'ils nous racontent a le goût d'un cari, la chaleur d'un séga et l'élan d'un « mo kontan twa ». Voici leurs témoignages.

Premier choc culinaire : « C'est quoi ce truc jaune qui pique ? »

Pour Philippe, ingénieur du son, le choc fut instantané : le dholl puri. « J'ai mordu dedans comme dans un wrap. Sauf qu'à l'intérieur, c'était une explosion d'épices, de textures et de “je-ne-sais-quoi” que mes papilles n'avaient jamais rencontré. »

Delphine, elle, a été prise en traître… par une mangue. « Elle était verte, piquante, acide, salée. » Mais, passé le choc, les papilles s'habituent… et deviennent même accros ! Mines frits, vindaye, achards, bringelles, halim, rougail saucisse, roti, briani, bol renversé… Chacun trouve son plat totem, celui qu'il apprend à cuisiner avec fierté (et un peu de sueur).

« Aujourd'hui, je prépare le bol renversé comme une cheffe », confie Julie.

« Moi, c'est le vindaye de poisson. Et les faratas ! », ajoute Annabelle, enseignante dans l'Ouest.
Et Philippe ? « Toutes sortes de caris. Je suis tombé dedans comme Obélix. »

Fusion culinaire : faratas + fromage râpé ?

Au fil des mois, une nouvelle cuisine se crée, quelque part entre la nostalgie du pays d'origine et l'envie de s'approprier les saveurs locales. Et parfois, ça donne des mélanges… surprenants !

Julien nous confie : « Je cuisine régulièrement des samoussas fourrés au fromage de chèvre, des mines frits avec de la sauce soja sucrée, et des lasagnes maison avec des lentilles. » Pourquoi pas ? À chacun sa tambouille identitaire !

Cette petite cuisine de l'entre-deux, souvent improvisée, raconte mieux que mille discours le métissage du quotidien. On saupoudre un peu de ses repères sur une base locale, et on découvre que l'île, en retour, se glisse subtilement dans nos habitudes.

Cette hybridation culinaire est le reflet d'un métissage vécu : on ajoute un peu de soi dans ce qu'on découvre, et on laisse l'île ajouter un peu d'elle-même dans ce qu'on croyait maîtriser.

Découvertes musicales : du séga au coup de cœur local

À Maurice, la musique ne s'écoute pas en fond sonore… elle s'invite partout dans le quotidien ! Sur la plage, dans les bus, lors des fêtes de quartier ou des grands concerts en plein air. Et pour les expatriés, c'est souvent un des premiers chocs culturels — mais un choc doux, vibrant, qui donne envie de taper dans les mains (même sans le rythme).

Certains découvrent le séga et sa fameuse ravanne au détour d'une fête sur la plage. Ils en gardent le souvenir d'un moment suspendu, un peu magique, entre tambour, sable chaud et crépuscule tropical. D'autres sont marqués par des concerts géants, comme celui de Marcus Gad, qui a propulsé le seggae et le créole sur la scène internationale avec son titre « lavérité » en collaboration avec Ton Renald de Racine Seggae.

Et puis il y a les chanteurs mauriciens qui marquent à vie : Zenfan ti Rivière, Eric Triton, Zulu, Kaya, The Prophecy… La musique mauricienne ne s'écoute pas : elle se vit, se danse… Et s'attrape par le bassin ! Mais surtout, elle colle à la peau : on a toujours un petit refrain en créole dans un coin du cœur.

Apprendre le créole : « Koze ki manier ? »

Apprendre le créole, c'est entrer dans un univers où chacun des mots porte une histoire. Une intonation. Une émotion. Ce n'est pas difficile, mais ça demande écoute et humilité.

Beaucoup s'y mettent. Philippe va même plus loin : « Je le parle, le lis, je l'écris couramment. » Rien que ça !

Kléane l'a appris à l'école. Delphine, elle, s'amuse de ses maladresses.

Quant à leurs phrases et expressions préférées, c'est un festival :

« Koze ki manier ? »
Une des premières qu'on apprend. Littéralement « comment tu causes ? », mais surtout une façon chaleureuse de dire « comment ça va ? » avec le sourire.

« Ki position ? »
Non, ce n'est pas ce que vous croyez. C'est l'équivalent de « quoi de neuf ? ».

« Tamam !!! »
Cri de joie ou d'approbation. Quand tout va bien, quand quelque chose est validé à 100 %, on lâche un bon « TAMAM ! » — et ça fait du bien.

« Dan so café, pena triaz. »
Une pépite. Littéralement « dans son café, il n'y a pas de tri ». Autrement dit : on prend les gens comme ils sont. Avec leurs douceurs, leurs amertumes, leurs petits grains flottants. Un appel à l'acceptation brute, sans filtre.

« Ayoooo ! »
Le couteau suisse de l'émotion. Peur, agacement, surprise, pitié, dramatique ou comique : tout passe par un bon vieux ayoooo ! lancé au bon moment.

« Ou kapav pa fer manze-la tro for ? »
Traduction : « Tu peux ne pas faire la nourriture trop épicée ? »
Phrase de survie pour les papilles non entraînées. À utiliser avant tout cari suspect. Et même parfois… trop tard.

« Manz pistas get cinéma »
L'art de savourer le chaos... sans se salir les mains. Littéralement : « manger des pistaches en regardant un film ». Mais dans la vraie vie, ça veut dire : « je regarde le spectacle, je ne m'en mêle pas, et je savoure la scène. » Une expression parfaite pour désigner les petites tensions de bureau, les disputes de famille ou les ragots de quartier. Ambiance popcorn, version mauricienne.

« Mari »
L'un des mots les plus entendus (et les plus polyvalents) du créole mauricien. Ici, « mari » ne parle pas d'alliance ou de cérémonie. Il signifie « très, vraiment, trop bien », trop fort… selon le contexte. Un plat délicieux ? « Mari bon. » « Mari », c'est l'amplificateur officiel des émotions positives. Court, simple, efficace. Mari stylé, non ?

« Korec »
Le « d'accord » mauricien. Parfait pour ponctuer une discussion ou montrer son approbation sans s'étendre.

« Tou di pain rasi ena so fromaz gaté »
Autrement dit : il y a toujours quelqu'un pour quelqu'un… même si c'est un peu sec d'un côté et bien fermenté de l'autre ! Une expression pleine d'ironie et de tendresse à la fois, pour souligner qu'on finit toujours par trouver chaussure à son pied — ou plutôt, pain à son fromage.

Le créole, c'est aussi un rythme, une attitude. Et quand on commence à penser en créole, c'est qu'on a vraiment posé ses valises.

La langue, une barrière ? Plutôt une passerelle

Aucun des expats interrogés n'a vécu la barrière linguistique comme un obstacle. Au contraire.

« Le créole m'a ouvert des portes. Des regards, des sourires, des conversations improbables au coin de la rue », raconte Annabelle.

« En fait, ça m'a rendue encore plus curieuse. Ça m'a poussée à aller vers l'autre », confie Delphine.

« Je considère que le créole mauricien est devenu ma "seconde langue maternelle" », ajoute Philippe.

Apprendre quelques mots, même imparfaits, c'est souvent tout ce qu'il faut pour briser la glace… et s'inviter autour d'un plat.

Une nouvelle façon de se voir… et de voir les autres

Quand on vit dans un pays aussi métissé que Maurice, quelque chose change. En profondeur.

« Ça m'a apporté une plus grande tolérance, une plus grande ouverture d'esprit. J'ai découvert un art de vivre différent de la vie en Europe. », dit Annabelle.

«La mixité culturelle à l'île Maurice m'a poussée à voir ma propre culture avec plus de recul et de curiosité. En côtoyant d'autres traditions, j'ai pris conscience de certaines habitudes que je pensais "normales" mais qui sont en réalité culturelles. Cela m'a permis de mieux comprendre mes propres valeurs, d'être plus tolérante et d'ouvrir mon esprit à d'autres façons de vivre, célébrer et penser le monde. », explique Aurélie.

« Je me considère presque comme un Mauricien maintenant », sourit Philippe.

Lisa, avec sa touche de poésie bien à elle, résume la chose ainsi : « Le monde c'est comme une mobylette, pour qu'il avance il lui faut du mélange ».

Quand la culture devient un quotidien… pas un folklore

Ce que les expatriés découvrent à Maurice, ce n'est pas un « exotisme » de carte postale. C'est une culture vivante, mouvante, ancrée dans le quotidien : dans ce qu'on mange, dans ce qu'on chante, dans la manière dont on se parle.

La mixité ici n'est pas une exception. C'est la norme ! Elle se glisse dans les recettes familiales, dans les mots qu'on mélange sans même y penser.

Et pour beaucoup, cette immersion a des effets durables : une cuisine qui change, une langue en plus, une ouverture d'esprit qu'on laisse s'installer pour de bon.

Un art de vivre… à partager

L'île Maurice transforme. Elle apprend à ralentir, à observer, à goûter, à écouter. Elle apprend surtout à vivre ensemble.

Et si les expatriés rencontrés devaient transmettre un seul message, ce serait celui-là : la vraie richesse est dans la rencontre. Dans l'acceptation des différences. Dans la curiosité joyeuse.

Alors, si vous croisez un dholl puri, un séga ou un « tamam ! », ne fuyez pas.
Croquez, dansez, répondez. C'est peut-être le début d'un nouvel art de vivre !

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A propos de

Globe-trotteuse dans l’âme, j'aime donner vie aux idées, aux histoires et aux rêves les plus fous. Aujourd’hui installée à l’île Maurice, je prête ma plume à et à d’autres projets inspirants.

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